Andreas Stargard, avocat germano-américain spécialisé en droit de la concurrence au sein de la firme Primerio International, pratique sur le continent africain depuis une décennie et a fondé le blog AfricanAntitrust.com, une référence en matière de suivi du droit de la concurrence en Afrique. Participant aux conférences de la Commission de la concurrence du COMESA (CCC) à Livingstone en août dernier, il partage au Journal des Archipels ses observations sur l’évolution de la CCC et son rôle grandissant dans la protection des consommateurs dans le COMESA.
Propos recueillis par Alexandre Karghoo invité à Livingstone par la CCC.
PHOTO (Alexandre Karghoo)
Le journal des Archipels : Présentez-vous. Comment un avocat spécialisé en droit de la concurrence devient-il journaliste et lance-t-il son propre média spécialisé ?
Andreas Stargard : Je m’appelle Andreas Stargard et je pratique le droit de la concurrence (ou « antitrust », comme on l’appelle aussi) depuis environ 2003. J’ai travaillé à travers le monde dans les principaux centres du droit de la concurrence, notamment à Bruxelles et à Washington DC, et, depuis une dizaine d’années, je me concentre sur un domaine niche : le droit de la concurrence africain. Cela m’est venu à l’esprit parce que j’avais représenté South African Airways dans l’affaire du cartel du fret aérien et d’autres clients africains, et j’ai donc commencé à me concentrer davantage sur ce domaine en plein essor. C’était un petit créneau à l’époque, j’ai donc décidé de rendre compte des développements africains avec un blog que j’ai fondé en 2012-13, appelé AfricanAntitrust.com(AAT). Notre site qui, depuis, a grandi en taille et en importance, est lu chaque jour par des centaines de lecteurs dans le monde entier et a même remporté des prix, notamment de la COMESA Competition Commission (Commission de la concurrence du COMESA, CCC) pour ses reportages.
JDA: Quels ont été pour vous les moments forts de ces conférences organisées par le CCC en août dernier à Livingstone (Zambie) ?
AS: Je pense que l’accessibilité du directeur général (CEO) de la Commission, le Dr Willard Mwemba, est un facteur clé qui rend les événements, parrainés par la Commission ou auxquels elle participe, particulièrement intéressants et utiles pour les praticiens et les journalistes. Il est très accessible, extrêmement franc et ouvert dans ses remarques et ses interviews. En outre, du point de vue journalistique, la CCC a fait de grands efforts pour s’assurer que la communauté des médias d’affaires soit informée des dernières évolutions du droit de la concurrence et de son application dans la région du COMESA. Elle parraine un forum annuel de journalistes d’affaires qui rassemble des acteurs des médias partageant les mêmes idées et les informe des derniers développements. Je trouve qu’il s’agit d’une initiative rare et rafraîchissante, que je n’ai jamais vue ailleurs.
PHOTO (Andreas Stargard prise par Alexandre Karghoo) : Andreas Stargard salue le travail effectué par le directeur général de la CCC, Dr. Willard Mwemba pour que la communauté des médias d’affaires soit informée des dernières évolutions du droit de la concurrence et de son application dans la région du COMESA.
JDA: La grande nouvelle de ces conférences a été : «Le Triple C devient le Quadruple C » – pour vous citer. C’est aussi l’annonce que la CCCC va travailler avec un nouveau cadre réglementaire. Comment accueillez-vous ces changements ? Pensez-vous qu’ils répondent aux préoccupations du monde des affaires du continent ?
AS: C’est vrai, la CCC deviendra bientôt la « quadruple-C » – terme que l’AAT est fier d’avoir inventé -, mettant ainsi davantage en avant l’aspect de la protection des consommateurs, qui avait été quelque peu occulté par les aspects plus dominants dans le mandat de la Commission. Lors de la conférence organisée par l’agence en Zambie cette année, le Dr Mwemba a très bien défendu ce changement de nom dans le cadre de l’accent accru mis sur ces domaines connexes de l’application de la loi. L’un des défis que je prévois est que la « protection des consommateurs » peut se présenter différemment dans les différents États-membres de la région. En d’autres termes, l’agence doit veiller à ne pas tomber dans le piège de protéger certaines entreprises « championnes nationales » sous couvert de protection des consommateurs.
Je l’ai déjà dit à maintes reprises, mais nous vivons vraiment à l’ère du « COMESA 2.0 »… Cela fait maintenant plus de 10 ans que la Commission a été créée, et elle a parcouru un long chemin. À partir de l’année prochaine (avec la mise en place de la nouvelle réglementation et l’utilisation officielle de son nouveau nom), je pourrais même commencer à la considérer comme la version 3.0. Par coïncidence, l’AAT et la CCC ont vu le jour à peu près à la même époque, en 2013, et nous avons couvert le chemin parcouru par cette dernière depuis sa création. En particulier maintenant, alors que la refonte des règlements sur la concurrence (c’est-à-dire le principal corpus législatif régissant l’application des lois antitrust et de protection des consommateurs au niveau régional) est bien avancée, je vois l’agence dominer le terrain de jeu de l’application du droit de la concurrence sur le continent, peut-être avec l’Afrique du Sud, le Kenya et un autre nouveau venu, la FCCPC (Commission fédérale de la concurrence et de la protection des consommateurs) du Nigeria.
JDA: Pensez-vous que la CCC est suffisamment connue de la communauté des affaires du COMESA et que ses procédures sont claires pour les entreprises concernées ?
AS: Je vais être franc, je pense que la réponse à cette question est clairement « non ». Cependant, ce n’est pas la faute de la Commission elle-même. La CCC a fait de grands progrès pour tenter de convaincre le monde des affaires d’adhérer à son mandat et de comprendre les règles du jeu équitable. Cependant , il reste plusieurs obstacles difficiles à surmonter pour que chacun connaisse ses droits et ses obligations. À mon avis, il s’agit notamment de la vaste portée géographique du COMESA, ainsi que des différences culturelles et linguistiques, qui rendent difficile une éducation « universelle » de l’ensemble du monde des affaires. En fait, votre question fait écho à celle que l’agence pose chaque année à la communauté des journalistes économiques lors de sa conférence annuelle, où les dirigeants de la CCC nous demandent : « Que pouvons-nous faire pour atteindre davantage d’entreprises et de consommateurs dans vos pays respectifs ? » Ainsi, même si je pense qu’il reste du travail à faire, ce n’est pas faute d’avoir essayé de la part de la Commission.
*COMESA : Marché commun de l’Afrique orientale et australe ou Common Market for Eastern and Southern Africa en anglais. Le sigle COMESA est utilisé autant dans le milieu anglophone que le milieu francophone.