PHOTO (DR) : Ashvin Gudday est négociateur syndical de la Private Sector Employees Union (Union des employés du secteur privé) qui est affiliée à la General Workers Federation. La GWF est une fédération syndicale historique fondée en 1970.
Dans le dernier Budget, le recrutement de travailleurs étrangers a été facilité à travers différentes mesures. Pour cause, plusieurs secteurs font face à une pénurie de main-d’œuvre locale, du moins c’est ce qu’avance le patronat des secteurs hôtelier, manufacturier et du bâtiment, entre autres. Les principaux syndicats s’y sont vivement opposés. Le journal des Archipels a interrogé Ashvin Gudday, syndicaliste, à ce sujet.
Propos recueillis par Alexandre Karghoo avant les récentes législatives.
Le journal des Archipels: Présentez-nous votre syndicat.
Ashvin Gudday : Je travaille comme négociateur syndical de la Private Sector Employees Union qui est affiliée à la General Workers Federation. La GWF est une fédération syndicale historique fondée en 1970 qui a grandement contribue à l’émancipation de la classe ouvrière ainsi qu’au cœur des grands combats dans plusieurs secteurs dont l’industrie sucrière, le port, le transport, le secteur manufacturier et d’autres organismes du secteur privé. À ce jour, la GWF regroupe et encadre plusieurs syndicats et compte dans ses rangs des milliers de membres issus du secteur privé et quelques-uns des corps paraétatiques. On a une équipe solide avec beaucoup d’expérience s’appuyant sur des valeurs qui promeuvent les droits humains, et nous militons chaque jour pour des meilleures conditions de travail pour les travailleurs.
« Ce que nous décrions, ce sont les mesures du dernier budget qui enlèvent le quota des travailleurs étrangers dans certains secteurs », déclare Ashvin Gudday.
JDA: Comment accueillez-vous ces mesures pour faciliter le recrutement d’étrangers ? Pourquoi nombre de syndicats se sont opposés à ces mesures ?
AG: Premièrement, je précise qu’au niveau de nos mouvements syndicaux, nous respectons les travailleurs étrangers qui contribuent à notre économie. Nous sommes nous-mêmes un peuple d’immigrés. Nos ancêtres sont venus de l’Afrique et de l’Asie, et ils ont façonné le destin du pays malgré toutes les souffrances endurées sous les jougs de l’esclavage et ensuite l’engagisme. J’ai moi-même travaillé pendant 22 ans dans le textile et collaboré avec des travailleurs étrangers qui complémentent notre système. Ce que nous décrions cependant, ce sont les mesures du dernier budget qui enlèvent le quota des travailleurs étrangers dans certains secteurs : le port franc, le secteur manufacturier, la bijouterie, l’ICT/BPO (externalisation des services dans le numérique – Ndlr) et l’agriculture.
Nous craignons et dénonçons une libéralisation de la main-d’œuvre bon marché où les patrons exploitent les travailleurs étrangers. Cela affectera les travailleurs mauriciens alors qu’on a 37 000 chômeurs dont 18,2 % ont moins de 25 ans. Nous comptons déjà 42 000 travailleurs étrangers. Le système capitaliste privilégie le profit au détriment de la vie, ainsi ils misent sur l’importation des travailleurs étrangers qui bénéficient des conditions moins favorables et travaillent de longues heures pour maximiser leurs chiffres d’affaires. Ainsi, les Mauriciens se trouvent à l’écart, déjà que nous vivons un exode continue des talents locaux.
Par exemple, les travailleurs étrangers ne bénéficient pas de « meal allowance » (allocation repas) lors des heures supplémentaire, ni des Vacation leaves (30 jours de congés payés pour cinq années passées au sein d’une entreprise – Ndlr) et les patrons n’ont pas à contribuer le 4,5 % du salaire mensuel dans le Portable Retirement gratuity fund (la cagnotte de la pension de l’employé auquel contribue l’employeur). Notons aussi que le seuil salarial pour recruter des “jeunes professionnels” est passé à 22,500 roupies dans le dernier budget. Imaginez un moment le sentiment des jeunes professionnels alors que nous avons 7500 chômeurs sortis des universités mauriciennes qui se retrouvent en compétition avec des travailleurs étrangers, qui seront disponibles sur le marché du travail et qui sont exploités !
FIN
La GWF propose le retour des quotas de travailleurs étrangers
En réponse aux nouvelles mesures, le syndicat GWF a formulé plusieurs contre-propositions : « La General Workers Federation soutenu par plusieurs syndicats, des militants politiques et des personnes de la société civile ont manifesté dans les rues de la capitale le samedi 6 juillet pour dénoncer cette politique de libéralisation et revendiquer qu’on restaure la situation à travers 12 demandes. Je vous en liste quelques-unes : nous proposons de débattre du type de politique d’immigration ainsi que de maintenir pour le moment le quota de deux travailleurs mauriciens pour un travailleur étranger ; nous proposons aussi de mettre en place une agence nationale de l’emploi pour évaluer le marché du travail ; que l’État mauricien ratifie la « Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille » de l’ONU pour assurer une meilleure protection aux travailleurs étrangers ; l’amendement du Workers rights Act et toutes les discriminations envers les travailleurs étrangers ; et permettre, à travers, l’Employment relations Act pour les négociations collectives en faveurs des travailleurs étrangers. Nous martelons qu’il faut respecter tout un chacun », déclare Ashvin Gudday.
Business Mauritius et les défis de la communication
Le journal des Archipels a contacté l’organisation patronale Business Mauritius au sujet de la facilitation du recrutement de la main-d’œuvre étrangère. Celle-ci n’a pas voulu communiquer sa position.
Ce silence s’inscrit dans une série de maladresses, comme en témoigne sa gestion récente de la question de l’augmentation des salaires imposée par le précédent gouvernement. Après une opposition initiale, l’absence de clarté et de stratégie a conduit à une situation confuse. Bien que l’organisation ait contesté la mesure en justice, de nombreux employeurs qui s’opposent à cette augmentation l’ont appliquée, faute d’un message fédérateur et d’un front patronal commun. Ce manque de leadership et de communication est préjudiciable à l’organisation, à ses membres et à la communauté des affaires qu’est censée représenter l’organisation.