Le label Marine Stewardship Council (MSC) est l’organisation de référence dans le secteur de la pêche pour certifier les pratiques durables. L’organisation, créée en 1997 par le Fonds mondial pour la nature (WWF) et la multinationale néerlando-britannique Unilever, labellise les navires et les pêcheries. Aujourd’hui, plusieurs reproches sont faits à l’encontre de MSC par diverses organisations. Notamment de labelliser des navires et des pratiques difficilement qualifiables de durables mais surtout de ne pas contrôler efficacement et rigoureusement les navires labellisés. Plusieurs rapports font état des dérives de navires certifiés MSC.
Suite à notre enquête sur la surpêche dans l’océan Indien et parue sur notre édition de juillet 2024*, notre équipe a enquêté également sur les certifications, notamment le label MSC.
L’association Bloom et des coauteurs avançaient, en mai 2020, avoir procédé à l’analyse exhaustive de toutes les pêcheries certifiées MSC depuis les origines du label. « Nos résultats révèlent de façon imparable l’ampleur de l’imposture du label MSC : à l’opposé de ses affirmations, le label MSC certifie en fait principalement des pêcheries industrielles destructrices », avance Frédéric Le Manach, directeur scientifique de BLOOM. Ce dernier a aussi publié une étude scientifique réalisée en collaboration avec des chercheurs nord-américains, publiée dans la revue scientifique Plos One.
«Les DCP ont un impact dramatique sur les populations de thon ciblées».
Le journal des Archipels a demandé à Frédéric Le Manach comment les représentants du label ont réagi à ces critiques faites depuis au moins 2020. Pour lui : «Le MSC n’a absolument pas changé, bien au contraire. Le secteur thonier est certainement le plus dynamique en termes de certifications MSC. Depuis que la première pêcherie utilisant des DCP a été certifiée, toutes les entreprises sont dans les starting-blocks pour obtenir leur certificat aussi». Ce qui est problématique, c’est que les DCP (dispositifs de concentration de poisson) contribuent à la surpêche car cette méthode fait beaucoup de prises accidentelles et attrape beaucoup de juvéniles qui n’ont pas encore eu l’occasion de se reproduire. Par exemple, des données récentes montrent que 97% des thons albacores, une espèce victime de surpêche depuis 2015, capturés sous DCP, sont des individus juvéniles et immatures. Jusqu’à 10% des captures associées aux DCP concernent des espèces non ciblées, telles que les espèces vulnérables et fragiles de requins et de tortues. Les observateurs signalent souvent la capture de centaines de requins au cours d’une seule opération de pêche, la quasi-totalité d’entre eux mourant avant d’être remis à l’eau. »
Consulté par nos soins à Maurice sur le sujet, Princes Tuna qui est le plus gros transformateur de thon dans notre région, a apporté cette nuance importante : « Nous avons connaissance d’organisations qui continuent de remettre en question la certification des pêcheries par le MSC, et notons que cette critique concerne presque exclusivement les pêcheries certifiées MSC qui incluent la senne coulissante avec DCP dérivants. Le MSC n’est pas un arbitre du type d’engin de pêche et ses trois principes : la santé des stocks, la minimisation de l’impact et la gestion efficace qui s’appliquent à toutes les pêcheries de manière égale lors de la certification. »
Abus de requins, de raies, de dauphins et de baleines sur des navires certifiés.
Au-delà de la non-durabilité des méthodes de pêche certifiées par MSC c’est son incapacité à être une tierce partie fiable qui est décriée. Récemment, en mars 2023, l’organisation anglaise Shark Guardian qui comme son nom l’indique milite pour la protection des requins, a déclaré «une nouvelle enquête (…) révèle que les rapports d’observateurs de la pêche faisant état d’abus de requins, de raies, de dauphins et de baleines sur des navires certifiés par le Marine Stewardship Council (MSC) sont toujours systématiquement ignorés.» Shark Guardian avait fait état de pratiques illégales dans l’océan Pacifique en mai 2022 (Slipping Through the Net), mais «l’absence d’enquête significative de la part du MSC démontre que son sceau de durabilité Blue Tick rencontre des difficultés systémiques persistantes», avance l’organisation.
Le nouveau rapport de Shark Guardian «Behind the MSC Blue Tick», de 2023, est le résultat d’une enquête sur d’autres données inédites d’observateurs de pêcheries (2017-2021) obtenues auprès de lanceurs d’alerte. Ce rapport identifie «un total de 330 incidents d’interaction avec des requins, des raies, des dauphins et des cétacés qui ont eu lieu sur des navires certifiés MSC. Dans la plupart de ces cas, ces espèces ont été maltraitées.» D’autres multiples infractions sont aussi notées, telles que l’absence ou la falsification des rapports de prises accidentelles où la pêche des bancs de poissons où se trouvent manifestement des cétacés. Si cela se produit dans l’océan Pacifique, tout laisse à croire que cela se produit aussi dans notre océan Indien. Qui plus est, alors que plusieurs espèces de thons dans l’océan Indien sont surpêchées, comment se peut-il que les navires soient labellisés MSC ? Par exemple, en 2018, WWF annonçait être «très préoccupé» par l’octroi du label MSC pour la pêcherie de thon listao de l’entreprise espagnole Echebastar dans l’océan Indien.
L’organisation Bloom conclut un de ses articles au sujet du label en ces termes : «Le MSC qui, comble du cynisme se présente comme une ONG environnementale, sert ainsi de refuge à la grande distribution qui n’a aucun effort à faire dans sa politique d’achat de poisson. En choisissant la facilité de ce label trompeur, les enseignes se font toutes complices du MSC, de ses mensonges, et de la légitimation de la destruction de l’océan.»
Alexandre Karghoo
*Enquête réalisée par Alexandre Karghoo et primée par l’organisation GRID Arendal pour le journalisme d’investigation.
Lire notre dossier complet sur la surpêche en cliquant sur :