Muriel Arnal est la présidente fondatrice de One Voice. Cette organisation qui se bat pour les droits des animaux et l’arrêt de l’expérimentation sur les animaux, dont les macaques, a tourné des images en caméra cachée au sein de fermes de singes destinés à l’exportation et à l’expérimentation animale. Le journal des Archipels l’a interrogée sur cette enquête qui vient accuser de maltraitance les fermes mauriciennes.

Propos recueillis par Alexandre Karghoo

Le journal des Archipels : Présentez-nous One Voice.
Muriel Arnal : One Voice est une association qui a 28 ans. Je l’ai fondée avec la vision de la globalité des combats : pour les animaux évidemment, mais aussi pour la nature et les humains. Il y a 28 ans, c’était moins évident de dire que tout est lié. Aujourd’hui, on la voit cette unité.
Nous menons des investigations, nous faisons de la sensibilisation du public, nous menons aussi des combats en justice de manière à défendre les animaux. La problématique des primates de Maurice est intéressante, dans le sens où ce sont des animaux qui sont maltraités mais qui sont aussi, à cause de ce commerce, en train de disparaitre. Et c’est un commerce extrêmement lucratif pour les entreprises qui le mènent globalement. Cela concerne l’expérimentation animale, les animaux sauvages captifs et les animaux sauvages libres. Avec les macaques, on a des animaux sauvages libres qui finissent captifs et il y a ensuite l’expérimentation animale.

JDA : Quelle est votre parcours, Qu’avez-vous fait auparavant ?
MA :
Voici un peu plus de 20 ans, l’Europe et la France avaient décidé d’ouvrir un très grand centre d’élevage de primates européen, près de Strasbourg, là où se trouve notre siège social. Ils disaient que comme ça ils n’auraient plus à en importer autant. On a mené une campagne très spécifique avec les gens autour de la zone. La zone avait déjà été achetée par le ministère de la Recherche. On s’est battu, on a mené une campagne au niveau local et au niveau national, et on a réussi à faire stopper le projet en 1999.
Néanmoins, il y a encore un centre qui existait déjà à l’époque, dans les années 90 et qui importe des macaques de Maurice pour les laboratoires français, mais aussi pour les revendre à d’autres pays européens. Il y a beaucoup de macaques de Maurice qui partent aux États-Unis, mais ceux qui arrivent en France, la plupart du temps, arrivent à cet endroit.

“Il y a des captures dans la nature.”

 

JDA : Comment s’est mis en place cette enquête et qu’avez-vous constaté ?
MA : Nous suivons le commerce des macaques depuis Maurice depuis très longtemps, comme il y avait des liens avec la France, mais vu que nous avons aussi des partenaires qui luttent dans le monde entier et que Maurice est un gros fournisseur de macaques. Nous avons voulu enquêter sur comment ce commerce est organisé surplace. Qu’est-ce qui se passe dans les élevages ? Et y a-t-il encore des captures dans la nature ? Depuis 2022, il est interdit de vendre des macaques capturés dans la nature. C’est la directive européenne sur l’expérimentation animale. L’idée étant de protéger les macaques.
Les macaques de Maurice sont originaires d’Asie, mais en Asie, ils sont maintenant en voie de disparition. A Maurice, ils sont considérés comme nuisibles, mais leur nombre a beaucoup diminué quand même. Ce n’est pas une espèce endémique de Maurice, mais au-delà de la souffrance, au-delà des millions que ça génère, ça fait beaucoup de dégâts sur ces macaques. Nous avions des contacts et nos enquêteurs sont venus à Maurice pour filmer. Ils ont réussi parce qu’il y a des personnes qui aiment la nature et les animaux pour nous accompagner. Nos enquêteurs ont pu filmer dans les élevages et nous avons pu prouver qu’il y a des captures dans la nature, ce qui ne devrait plus se faire normalement.
Quand on a gagné contre les fermes en France, on l’avait dit : un élevage a besoin de sang neuf. Sinon, au bout d’un moment, il y a de la consanguinité. Donc, un élevage va faire un appel d’air de captures de primates. Et là on en a la preuve. Ensuite on a la preuve de la maltraitance, ne serait-ce que pendant les captures et de la maltraitance dans les élevages eux-mêmes.

JDA : Est-ce comparable à ce que vous avez pu observer ailleurs ?
MA : Nous avions déjà enquêté en Asie, dans les élevages, donc on a retrouvé un peu la même chose mais quand même, là on est sur des élevages absolument immenses avec une population qui se contamine ; et des règles d’hygiène qui sont difficiles parce qu’il y a cette concentration d’animaux en élevage quasi intensif. Ca ne dérange pas l’élevage de tuer 200 macaques en une semaine s’ils ont la tuberculose ? Cela cause deux problèmes, même trois : il y a cette maltraitance-là, cela veut dire encore plus de capture dans la nature avec des populations de macaques qui transitent et il y a une violation de la législation. Les fournisseurs français avec lesquels j’ai débattu à la télévision, je leur ai dit : est-ce que vous avez les moyens de contrôler ? Bien sûr que non ! Ils n’ont pas les moyens de contrôler. Il y a un autre problème c’est la tuberculose, parce que c’est quand même une maladie qui se transmet aux humains et il y a très visiblement des foyers de tuberculose dans ces élevages. C’est là qu’on se demande pourquoi les autorités mauriciennes n’interviennent pas pour faire fermer des élevages qui sont absolument porteurs de cela.
Les laboratoires donnent une image avec beaucoup de règles sanitaires et on voit que les élevages qui fournissent les laboratoires ne sont pas dans les règles et font courir un risque à la population. C’est extrêmement inquiétant. On peut se demander qui profite de tout ça puisque c’est un marché énorme : un macaque quand il arrive dans le laboratoire, vaut 20 000 dollars (chiffre non confirmé par le Journal des Archipels NDLR). Ça explique l’intérêt des élevages mauriciens, ça explique l’intérêt des intermédiaires en France. Et les prix ne vont pas baisser puisqu’il y a de moins en moins de macaques. C’est ce que j’ai dit aux personnes qui défendent l’expérimentation animale sur les macaques : à un moment, il n’y en aura plus.

Vers une autre façon d’expérimenter les produits et faire de la recherche.

JDA : One Voice plaide pour l’arrêt de l’utilisation des macaques en laboratoire ?
MA : Oui. Le lobby de l’expérimentation animale, comme on l’appelle, va nous rétorquer : «mais il y en a besoin». Le problème c’est que tant qu’on fournit les laboratoires, ils n’ont pas de motivation à trouver une autre façon d’expérimenter les produits et de faire de la recherche. C’est tellement facile. Et puis il y a tellement d’intérêts financiers et commerciaux. C’est énorme. J’ai calculé que l’entreprise qui exerce de plaques tournantes en France ces dernières années nous a dit qu’elle avait vendu 5 000 macaques. Tous ne viennent pas de Maurice mais tout ce monde a intérêt à ce que ça continue.

JDA : Quelles ont été les réactions suite à votre enquête ?
MA : En France, la stratégie de l’industrie de l’expérimentation animale, c’est d’essayer d’étouffer les informations et de surtout ne pas en parler. Par contre, dans les autres pays du monde qui sont fournis aussi par Maurice, ça a beaucoup fait beaucoup parler. Les pays ont différentes stratégies. Pour le lobby de l’expérimentation animale, depuis 30 ans, 40 ans, 50 ans, c’est : «on ne parle pas». Néanmoins, cette enquête permet, quand on se retrouve en face d’eux dans les médias, de leur dire : «Pourquoi laissez-vous faire ça ?». Ils répondent : «il n’y a pas de problème». Dans les autres pays, la réaction a été forte. A Maurice, bien sûr, les élevages, toutes ces entreprises ont communiqué pour minimiser et décrédibiliser l’enquête. L’enquête, elle est là et elle restera. Les images, elles sont là. On n’entre jamais dans les pires endroits parce qu’on ne choisit pas où on entre. On n’a pas pris le pire élevage. On entre là où on peut. C’est le principe d’une enquête. On ne choisit pas. Ca prouve qu’il y a un problème intrinsèque, un problème dans le système de ce commerce au niveau de Maurice.

JDA : Les entreprises concernées ont elles communiqué ?
MA : Les entreprises ont communiqué.

JDA : Avec vous ?
MA : Non. De manière générale, c’est rarissime qu’on communique avec ceux qu’on a infiltrés. Mais elles ont essayé de nous faire passer pour des gens peu sérieux, mais il se trouve qu’on a l’habitude de faire des enquêtes. Nous ne sommes pas inquiets par rapport à ça. L’enquête a permis aux associations, dans d’autres pays aussi, de faire campagne puisqu’il y a des entreprises qui importent les macaques de Maurice partout.

 

JDA : De quels pays s’agit-il par exemple ? Et quelles ont été les réactions ?
MA : Les États-Unis sont très demandeurs. Les réactions dans certains pays ont été déjà de nous remercier de l’enquête et de nous dire qu’ils vont faire campagne, diffuser les images et les diffuser dans les médias. Nous ne pensons pas que ça impactera le tourisme et ce n’est pas notre but. On ne veut pas faire pression en faisant du boycott ou quoi que ce soit. On veut simplement présenter une problématique. On veut montrer que ces animaux, capturés dans la nature, sont gravement maltraités et ce n’est que le début puisque nous, de notre côté, on complète avec le suivi de tout ce qui leur arrive dans les laboratoires en France.

 

Lire le dossier complet sur le Journal des Archipels n°18