Chaque année, les sociétés exportatrices de crustacés marins génèrent des centaines de tonnes de déchets qui, mal traités, provoquent de sérieuses conséquences sur l’environnement. Un constat qui a amené Angeluca Alphe à monter un projet pour « emprunter la meilleure voie de valorisation des déchets issus de l’exploitation des ressources halieutiques », notamment dans la partie australe de la grande île.
Photo : La jeune chercheuse a étudié le chitosan (polyglocosamine extrait de la carapace de crustacés marins comme la crevette et le crabe) en tant que purificateur d’eau salée.
A Toliara, les déchets de crabes sont jetés dans la nature et deviennent un fléau pour l’environnement. Ces déchets de crabes attirent des nuisibles comme les rats. En plus, étant hautement putrescible, ces derniers génèrent une odeur nauséabonde qui est due à l’évaporation du gaz méthane, un gaz à effet de serre, libéré par les bactéries anaérobiques. A long terme, ces déchets pourront aussi contaminer la nappe phréatique. Ce qui justifie la nécessité de valoriser des « déchets halieutiques » qui, selon Angeluca Alphe, constitue un enjeu socio-économique et environnemental de premier plan pour Madagascar.
« La mer est d’une importance capitale pour les Hommes. Elle est source de nourriture et de moyen de subsistance pour de nombreuses personnes. Elle participe aussi à la séquestration de carbone et la régulation de la température terrestre. La préservation de l’environnement marin est essentielle et la gestion responsable des déchets, pour protéger la mer et l’eau, est indispensable », soutient celle qui, très tôt, a choisi de s’intéresser à la filière aquaculture. La sortante de l’Institut Halieutique et des Sciences Marine (IHSM) de Toliara (Tulear NDLR) a alors produit une étude sur l’élevage larvaire de l’espèce Holothuria lessoni. « L’aquaculture est très importante car elle permet de réduire la pression due à la surpêche tout en satisfaisant la demande sur le marché des produits halieutiques. En plus, la maîtrise de l’élevage larvaire empêche la disparition de l’espèce concernée », a-t-elle expliqué.
S’orientant ensuite vers la biotechnologie, elle va étudier le chitosan (polyglocosamine extrait de la carapace de crustacés marins comme la crevette et le crabe) en tant que purificateur d’eau salée. L’objectif de cette étude menée en 2017 au Centre National de Recherche sur l’Environnement d’Antananarivo était de trouver un alternatif aux produits chimiques utilisés pour le traitement de l’eau en aquaculture et la valorisation des co-produits de crabe.
Scientifique et porteuse de projet.
Son étude a démontré une fois de plus l’efficacité du chitosan issu de la carapace des crabes pour le traitement des eaux douces usées. Angeluca Alphe a piloté une expérience durant plusieurs mois pour extraire le chitosan des carapaces de crabe. Des échantillons d’eau de mer de Toliara ont été prélevés pour comparer la qualité de l’eau avant et après traitement à l’aide de chitosan. Le traitement a retenu deux méthodes : la coagulation-floculation et l’adsorption. Les carapaces produites par la société Copefrito à Toliara ont été utilisées pour la méthode de coagulation-floculation. Et le chitosan a éliminé jusqu’à 49 % les matières nuisibles pour l’environnement. L’expérience a aussi mis en évidence sa pertinence sur l’eau pour l’aquaculture avec l’utilisation de la seconde méthode.
Les données collectées durant ses enquêtes sur le terrain ont fini par la convaincre de monter un projet intitulé « Mise en place de la première industrie productrice de chitosan à Madagascar ». Ce dernier fut présenté, en 2019, au concours international baptisé « Blue champion award » organisé par la Commission de l’Océan Indien (COI). Elle finira parmi les finalistes et surfera sur cette vague pour solliciter une subvention du programme Mihary du Projet Intégrée de Croissance (PIC) de la Banque mondiale. Elle sera sélectionnée puis recalée au bout du processus car son projet n’avait pas une « promesse d’achat », un critère qui n’était pas prévu initialement…
Appel aux investisseurs intéressés par l’initiative.
« Les eaux usées de la ville de Toliara sont directement rejetées dans le milieu naturel sans traitement. De plus, l’augmentation des métaux lourds au port de Toliara impacte de plus en plus la qualité de l’eau. C’est la raison pour laquelle la plupart des recherches sur la production de larves en écloserie ont échoué, comme les crabes et les hippocampes. Il est crucial de trouver des méthodes et des techniques efficaces pour éviter de tels obstacles au développement de l’aquaculture », a-t-elle avancé à titre d’argument principal lors de ses interventions pour soutenir son projet.
Puis, en 2021, la société MALIO, une entreprise spécialisée dans la gestion des déchets liée par un accord public-privé avec la commune urbaine de Toliara, lui propose une collaboration. « Mon projet nécessitait un fonds de démarrage important, je devais donc m’appuyer sur une structure partenaire solide », a-t-elle expliqué. Malheureusement, la société va voir son contrat avec la mairie remise en cause. « Malgré les déceptions et les difficultés, je ne baisse les bras. J’ai toujours espoir que mon projet se concrétisera. J’en profite d’ailleurs pour lancer un appel aux investisseurs intéressés par mon initiative », a conclu Angelica Alphe lors de son entretien avec Le Journal des Archipels.