Au temps où l’énergie était rare, faite d’huile de coude, de traction animale et d’un petit peu de moulins à vent et de biomasse, il était inconcevable de gaspiller ce que le travail avait produit. Les objets avaient une seconde, troisième, quatrième vie. Après un développement fulgurant basé sur l’énergie abondante et pas chère, le gaspillage est apparu comme un truc de riche et un signe d’abondance. A contrario, l’économie circulaire est-elle un truc de pauvres ?
Nous sommes la seule espèce à fabriquer des déchets dont personne ne veut. Mais la pénicilline était un déchet jusqu’à ce qu’un certain Alexander Fleming découvre ses vertus. Les déchets sont des ressources dont on n’a pas encore trouvé l’usage. Prenons le cas du plastique si décrié. À Maurice, nous utilisons 75000 tonnes de plastique par an. La valeur énergétique de cette masse correspond à deux RED EAGLE[1] gratuits. Il suffirait de s’organiser pour le collecter et l’exploiter par de la pyrolyse haute température pour alimenter des centrales thermiques.
Il n’est pas trop tard pour changer de modèle. D’ailleurs nous avons commencé. L’industrie sucrière et le seafood utilisent tout. Les filières REP[2] existent à La Réunion et sont en cours de développement à Maurice. Le tri des déchets en amont sera bientôt une réalité. Le professeur Georges Chan, un des mentors de Gunter Pauli, a été un pionnier des fermes intégrées, des écosystèmes qui produisaient des porcs, des poissons, des légumes et de la spiruline. Pour développer son concept, il était parti à la recherche du savoir-faire de ses ancêtres. Il avait compris qu’innover consiste essentiellement à redécouvrir ce que nous avons oublié. Ce Mauricien remarquable, non connu ni reconnu à Maurice, mériterait de donner son nom à un institut de formation.
« Nous demandons à la nature de fonctionner comme nos usines, alors que nos usines devraient fonctionner comme la nature. » (Gunter Pauli)
Ce que nous appelons économie circulaire est une déclinaison de l’Économie Bleue de Gunter Pauli. Une nouvelle économie dans laquelle on sort du modèle « matières premières + capital + travail = produits marchands + déchets » pour aller vers un modèle de portefeuilles d’opportunités synergiques qui vont créer de la valeur économique, les fameux multiples cash-flows, de la valeur sociale, des emplois, des revenus, des connaissances et de la valeur environnementale par la régénération d’écosystèmes. Cette économie s’applique à un territoire. Nos îles constitueront un territoire lorsque la question du transport inter-îles sera résolue.
Pour cela, nous devons penser de façon systémique, redécouvrir l’économie, la sobriété, les (bonnes) habitudes passées, et faire la différence entre argent et valeur. L’Économie Bleue, c’est plus d’emplois, plus de valeur ajoutée, moins d’importations, moins de besoins en devises, plus de souveraineté. Ce n’est donc certainement pas une économie de pauvres mais une économie de riches. Ou alors, nous sommes tous pauvres car notre capital naturel est en cours d’épuisement, ce à quoi l’Économie Bleue de Gunter Pauli peut remédier.
[1] Bateau qui approvisionnait Maurice en produits pétroliers.
[2] Responsabilité Élargie des Producteurs